24 Juil L’employeur face à un médecin du travail prenant parti pour le salarié : possibilité de porter plainte
Dans une décision du 6 juin 2018, le Conseil d’Etat a rendu une décision favorable à l’employeur confronté, à l’occasion d’un contentieux prud’homal, à un certificat médical rédigé par un médecin du travail à la demande du salarié et versé aux débats par ce dernier.
Le certificat médical litigieux faisait état d’un « enchaînement délétère de pratiques maltraitantes » de la part de l’employeur, à l’encontre du salarié.
Selon le Conseil d’Etat, le fait que le médecin du travail prenne parti sur un lien entre l’état de santé du salarié et ses conditions de vie et de travail dans l’entreprise ne constitue pas, en soi, un manquement à ses obligations déontologiques. Toutefois, les juges rappellent que le médecin du travail ne saurait établir un tel certificat médical qu’en considération de constats personnels opérés par lui, tant sur la personne du salarié que sur son milieu du travail. A ce titre, en effet, l’article R. 4127-76 du Code de la santé publique impose à tout médecin d’établir un certificat « conformément aux constatations qu’il est en mesure de faire », ces constatations devant donc nécessairement être préalables à l’établissement d’un certificat médical.
Or, en l’espèce, le médecin du travail n’avait procédé à aucune constatation personnelle et s’était fondé sur les seuls dires du salarié. En outre, ce médecin n’avait jamais travaillé dans l’entreprise concernée.
Etant rappelé que l’article R. 4127-28 du Code de la santé publique prohibe la délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance établi par un médecin, le Conseil d’Etat a donc estimé que :
- le médecin du travail avait manqué à ses obligations déontologiques ;
- la mention susvisée apposée par le médecin du travail lésait l’employeur de manière suffisamment directe et certaine, ce qui justifiait la plainte déposée par ce dernier à l’encontre du médecin.
Les juges ont ainsi entériné l’avertissement qui avait été notifié par le Conseil de l’Ordre au médecin du travail en cause.
Dans une précédente décision, le Conseil d’Etat avait déjà rappelé que les médecins du travail sont tenus, comme tout médecin, de respecter un certain nombre d’obligations déontologiques s’imposant à leur profession, conformément aux dispositions du Code de la santé publique. Aussi, en cas de manquement d’un médecin à ses obligations, toute personne lésée de manière suffisamment directe et certaine, y compris l’employeur, a la faculté d’introduire une action disciplinaire à l’encontre de ce médecin, la plainte devant être au préalable déposée devant le Conseil départemental de l’Ordre (article R. 4126-1 du Code de la santé publique et décision du Conseil d’Etat du 11 octobre 2017 n° 403576), ce qui suppose toutefois au préalable une tentative de conciliation.
L’arrêt du 6 juin 2018 illustre donc ces principes précédemment posés par la jurisprudence.
Ces principes ont également vocation à s’appliquer en cas d’avis d’inaptitude établi sans analyse de poste et sans échange préalable avec l’employeur (comme cela a d’ailleurs été jugé dans un arrêt du Conseil d’Etat en date du 10 février 2016 n° 384299).
L’évolution de la jurisprudence au cours des dernières années se révèle ainsi favorable à l’employeur, qui n’est plus démuni face à un médecin du travail excédant les limites de ses missions.
Rappelons enfin que les avis d’aptitude ou d’inaptitude émis par le médecin du travail peuvent être contestés devant le Conseil de prud’hommes, en référé, sans préjudice d’une action disciplinaire éventuellement introduite devant le Conseil de l’Ordre en cas de manquement à une obligation déontologique. Compte tenu de l’aléa de la justice prud’homale et de l’absence de conséquence concrète pour le médecin du travail, le dépôt d’une plainte à l’Ordre des médecins peut inciter le médecin du travail à modifier son comportement à l’égard de l’employeur ; cela sera en revanche totalement inefficace à l’égard du salarié, l’avis d’aptitude ou d’inaptitude restant opposable à ce dernier et à l’employeur en l’absence d’annulation prononcée par le Conseil de prud’hommes dans le cadre d’une procédure spécifique engagée parallèlement.
CE 6 juin 2018 n° 405453